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Les rides qui prennent aux tripes

21 décembre 2014 by marjoriehardy

BJ’ai peur de vieillir. J’ai peur de l’inconnu, la difficulté, le rejet. Enfin, j’ai peur dans mes tripes de me retrouver seule, m’épuisant devant un ennemi impossible à combattre, car l’ennemi est nature.

Il n’y a qu’aux les belles artistes à qui il est permis d’éclore : aux vieilles qui n’auront pas su se composer une beauté nouveau genre, qui mystifie le temps et l’âge, point de salut. Seule voie la rigole qui coule au caniveau.C

Regretter le temps mal utilisé, regretter le temps pris pour mûrir, se découvrir, se détailler et se complexifier, parce qu’une société pressée de tout, obsessive de l’éclosion, qui ne statue jamais sur ce qui se passe, laisse traîner la femme et la laisse lier ensemble, à force de déceptions, de refus manqués, de silences évadés, qu’il est maintenant trop tard pour briller et qu’il fallait y penser plus tôt. La suggestion retardataire de mener sa vie stratégiquement, pour repousser la date d’expiration, avant même de se connaître, de vouloir et de s’aimer, d’exploiter sa beauté et sa jeunesse pour la faire fructifier. L’adolescence qui devient un placement, la Bourse du succès et des opportunités futures.D

Ça me fait mal d’être femme, de me dire qu’il est déjà trop tard, que j’aurais dû commencer il y a longtemps déjà, car il n’y a que celles qui ont commencé enfant qui sont acceptées adultes, réellement adultes. Voir mes rêves s’évaporer, préférer les oublier et les tuer avant que les rides ne le fassent, me concentrer à préférer des buts professionnels intellectuels, en voulant permettre un peu plus d’espoir, de réalisme.

E

 


Deux ans plus tard, je me relis.

Le soir du texte, j’avais écouté Drive. Il y a de ces films qui vous habitent, et celui-là, avec sa bande sonore remarquable, sa photographie étincelante et ses jeux d’acteur mémorables, ça l’y classait automatiquement.

J’avais ensuite lu sur le film, et appris que c’était l’acteur principal, Ryan Gosling, qui avait suggéré et obtenu le réalisateur de son choix.

Et ça m’avait mis un sacré cafard.

On voit de l’art, et on se dit «et si moi?». On fantasme pendant tout un film à se projeter à vivre de telles aventures. On se dit qu’on en vit un petit bout, c’est une belle chance que d’être modèle. On se dit qu’un jour, peut-être – un jour, il pourrait y avoir une occasion exceptionnelle, un coup de chance inespéré.

Mais je ne pouvais pas me rendre là dans ma grande utopie. On lui faisait confiance à un bel acteur avec du talent, on souhaitait le mettre en situation de pouvoir, on lui offrait sur un plateau d’argent l’opportunité de faire partie encore davantage du boy’s club (!). Ce n’était pas un fantasme à avoir en tant que femme. On n’aurait jamais donné le droit à Carey Mulligan de choisir son réalisateur. On n’aurait pas permis à une femme de dépasser son rôle de belle au beau jeu. Il y a en bien quelques-unes qui y sont passées, tout se trouve, mais c’est rarissisme. Et moi, à 24 ans et inconnue, je rêvais moi aussi de figurer dans un grand film hollywoodien? Arrête tes conneries.

Dans la vraie vie, j’étais de retour de l’étranger, et déjà, on faisait moins appel à moi pour des photos. C’était au point mort. Ça ne décollait plus. Je me savais trop âgée depuis longtemps pour les agences (déjà 4 ans trop tard sur la limite des vingt ans). Mais voilà – mes yeux devaient s’ouvrir ce soir.

Je n’avais pas eu le temps. J’avais déjà perdu ma beauté.

Je ne faisais pas le poids contre ces jeunes modèles toutes sorties de l’enfance. Ma peau avait déjà été aussi lisse que la leur, plus maintenant. Mon corps avait déjà été aussi lisse, mes fesses et mes jambes sans aspérités.

Je ne regrettais pas ma jeunesse. Je ne les enviais pas.
Je regrettais l’inéluctable traitement de la société de ne pas accepter que moi, j’acceptais plutôt bien de prendre des années.

Ça ne faisait que commencer, et je devais déjà y dire adieu.

Pouvais-je au moins prendre quelques minutes pour me remémorer ce qui s’effaçait déjà? Je terminais ma soirée en écrivant ce texte, en disant à mon amoureux que j’allais le rejoindre au lit un peu plus tard. J’étais dans la salle à manger, la gorge nouée d’un deuil personnel et intime de toute la vie, et je me vidais la tête rien que pour dormir ensuite.

Deux ans plus tard, je ne réussis pas à finaliser ce texte.

J’ai ressorti ce texte ce soir. Je le savais incomplet, inachevé. J’ai tenté de le terminer, de me remettre dans mon émotion, mais voilà :

je ne suis plus terrifiée par le vieillissement.

J’ai apprivoisé l’idée, et ai exploré mes possibilités. J’ai aussi choisi ce qui était vraiment le plus important pour moi, et ce n’est pas de collaborer avec les photographes qui exigent une peau parfaite… J’ai relu le très touchant Double Standard of Aging de Susan Sontag, surtout la fin:

« Les femmes ont un autre choix. Elles peuvent se concentrer à devenir sages plutôt qu’uniquement belles; compétentes plutôt que pratiques; fortes plutôt que gracieuses, ambitieuses pour leur propre existence plutôt qu’uniquement dans le cadre de leurs relations avec les hommes et leurs enfants. Elles peuvent naturellement vieillir sans embarras, en protestant activement et en défiant toutes les règles de l’embarras de l’âge. Plutôt que de s’accrocher à une image adolescenteaussi longtemps que possible, et finir inéluctablement par vieillir en fleurs fanées, elles peuvent accepter leur statut de femme adulte plus tôt et s’approprier l’érotisme riche et propre qui est à leur portée. Les femmes devraient permettre à leur visage de montrer les vies qu’elles ont vécues. Elles devraient dire la vérité à toutes les fois qu’on leur demande leur âge. »

Encore une fois, je ne suis pas capable d’ajouter des phrases à ça. Mais cette fois, mon texte est complet.

—

Crédit photographie et retouche sur la 5e photo : S. Nair

Filed Under: image corporelle, normes liées au genre, vieillir

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À PROPOS

Je pose comme modèle depuis 2007 en photos de mode, éditoriales, de portrait et commerciales. Je suis féministe depuis 2009, après avoir assisté par hasard à un dîner-conférence sur les femmes entrepreneures, dans une faculté de sciences de l'administration. Le féminisme a besoin de brèches. Je fissure donc modestement mais avec plaisir le monde de la mode, de l'apparence et de la beauté pour y faire entrer des idées de progrès social, de contestation et de diversité. Lire la suite ...

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